jug cerović architect

DIALOGUE

Imaginary conversation between architects
Theory of architecture class
EAPLV, Paris, France
2001

dialogue

LA TETE DANS LES NUAGES

Décédé suite à un accident cardiaque Renzo Piano monte au ciel.
Il y rencontre Le Corbusier assis sur un nuage en forme de parallélépipède rectangle.

LE CORBUSIER : Bonjour et bienvenu cher ami.

RENZO PIANO : Mes respects signore. Pardonnez ma question mais pourquoi votre nuage est-il ainsi constitué ?

LC : Je l’ai voulu fonctionnel ; je lui ai donc donné une forme pure et rationnelle.

RP : Et je suppose que ses faces sont des rectangles d’or.

LC : On ne peut rien vous cacher. Voyez-vous cher confrère, ce nuage au lieu d’être difforme à l’instar de ses semblables présente à sa surface un plan libre qui peut être aménagé à souhaits. De plus, de par sa forme il bénéficie d’un ensoleillement optimal.

RP : Mais de par sa forme justement ne jure-t-il pas avec les nuages environnants ?

LC : Certainement pas ! Ce sont les autres qui jurent avec le mien qui leur est en tous points supérieur.

RP : Et cette discorde ne vous dérange-t-elle pas ?

LC : Pour l’instant elle m’exaspère quelque peu mais je dois vous avouer que j’ai pour ambition de détruire tous ces affreux nuages tuberculeux et de les remplacer par des nuages semblables au mien. Je les appellerai «nuages radieux » et je les organiserai dans le ciel selon un plan rationnel en damier qui…

RP : Signore Le Corbusier, je suis désolé d’interrompre vos rêveries mais je crains de ne pouvoir supporter de telles divagations plus longtemps.

LC : Divagations ! ? Qu’entendez-vous par-là ? Pensez-vous que mon plan est utopique ? Il est, Monsieur, parfaitement réalisable et surtout viable. Il apportera bonheur et bien-être aux résidents du ciel.

RP : Ce que je pense c’est qu’il vous faudrait adopter une démarche radicalement différente de celle qui vous fait perdre l’esprit. L’objet nouveau doit s’adapter à l’espace et ne faire qu’un avec lui. Il doit subir les influences de l’environnement pour s’insérer harmonieusement dans le tissu existant. Je pense qu’il vous faut adapter votre nuage aux autres nuages.

LC : Vous soutenez donc qu’il faut se plier au règne de la médiocrité.

RP : Bien sûr que non. Tout au contraire, il faut savoir innover, apporter des améliorations, tendre vers un idéal de beauté et de confort tout en sachant s’adapter au milieu préexistant.

LC : Je vous assure, moi, qu’il faut aller de l’avant sans se soucier de la médiocrité environnante. Si un ouvrage est laid ou insalubre, nous le raserons sans états d’âme. Si une ville entière l’est, nous ferons de même puis nous la reconstruirons sur des bases rationnelles.

RP : Vous préconisez la chirurgie tandis que je soutiens l’homéopathie. Je pense que si on implante des bâtiments isolés mais bien conçus dans un tissu urbain, ces bâtiments joueront un rôle de moteur et favoriseront l’évolution progressive de ce tissu vers une forme plus adaptée aux besoins de la population.

LC : Votre procédé est lent et inefficace. Seuls des changements radicaux planifiés avec soin permettent de sauver une ville agonisante. J’insiste sur le caractère anarchique de l’évolution spontanée d’une ville auquel seul un plan, de préférence rationnel, peut remédier.

Entendant la voix de Piano, Aldo Rossi accourt.

ALDO ROSSI : Renzo ! Amico mio !

RP : Ah ! Aldo, tu vas pouvoir m’aider à convaincre monsieur Le Corbusier de renoncer à détruire les nuages.

AR : Ça ne sert à rien Renzo, il ne changera pas d’avis. Je lui ai déjà expliqué mille fois que le rationalisme, comme l’ordre, est nécessaire mais qu’il peut être bouleversé par des facteurs extérieurs aussi bien d’ordre historique que géologique ou psychologique, mais il refuse de l ‘envisager.

RP : J’essaie de lui faire comprendre qu’il ne peut pas changer la configuration d’une ville du tout au tout mais qu’il doit la faire évoluer par des interventions légères.

AR : Las, Il ne veut pas même comprendre que les gens pourraient se sentir mal à l’aise si les nuages étaient géométriques et rangés en damier.

LC : Non messieurs, les gens se sentiraient bien mieux entourés de nuages aux formes pures, savamment proportionnés, ensoleillés, qui offriront tous une vue dégagée et disposés selon un plan géométrique.

RP : Cela pourrait être vrai si ces gens n’étaient pas des êtres soumis aux sentiments et surtout aux passions et possédant en plus un héritage historique. Les citadins aiment la diversité des bâtiments et des espaces et c’est dans un tissu urbain dense aux formes variées, comme un centre historique, qu’on observe le plus d’activité et de vie. Ils s’ennuient dès qu’ils sont confrontés à la répétition d’éléments identiques. Voyez les grands ensembles de nos banlieues, sans même parler des défauts des bâtiments, je peux vous affirmer que l’activité y est beaucoup moins intense.

LC : Toutefois la disposition en quinconce des immeubles permet d’obtenir une vue dégagée.

AR : A quoi bon avoir une vue dégagée si c’est pour «admirer» un paysage monotone, une succession de tours et de barres toutes semblables.

RP : Il n’y a de beauté dans un paysage que s’il est diversifié et que des éléments accrochent le regard. Votre plan permet un regard fuyant mais il n’y a rien pour l’accrocher. Il est donc dénué de toute idée de plaisir et de beauté et est purement utilitaire.

LC : La beauté et le regard sont des notions subjectives. Vous remarquerez tout de même que mon plan a le grand mérite de faciliter la circulation en organisant des voies rapides rectilignes et en regroupant logements, services et administration dans des zones distinctes clairement définies.

RP : Assassin ! Ne voyez-vous pas que vous tuez la ville en ségrégant ses différents composants. C’est en séparant les commerces et les bureaux des logements qu’on transforme un quartier en cité dortoir.

AR : Je conçois à la limite que l’on bâtisse une cité administrative pour améliorer l’efficacité de notre administration pachydermique aux départements éparpillés, mais séparer logements et emplois est un sacrilège.

LC : Le découpage de la ville en zones est nécessaire pour améliorer la circulation et réduire le trajet entre domicile et travail. Les industries seront séparées des logements par des espaces verts, les services occuperont le confluent des voies de circulation tandis que l’artisanat sera situé aux points les plus intenses de la ville.

RP : Mais par un zonage aussi radical vous supprimez l’essence même de la ville qui est le regroupement en un seul lieu de tout ce dont l’homme à besoin, aussi bien le logement que l’emploi et les commerces.

AR : Les quartiers résidentiels seront vides la journée tandis que les autres zones seront vides la nuit.

RP : Ce n’est plus une ville mais un ensemble de zones reliées par des flux de citadins et qui ne vivent que la moitié de la journée.

AR : Tout en raccourcissant la durée des trajets vous en créez de nouveaux qui avant étaient inutiles. Dans une ville traditionnelle on peut après son travail faire les courses dans le même quartier puis flâner dans les rues en regardant les vitrines ou aller dans un musée avant de rentrer chez soi.

RP : Dans votre pseudo-ville à vous il faudra après son travail se rendre à la zone des services pour faire des courses puis à la zone artisanale pour regarder les vitrines puis…

AR : En théorie la cité rationnelle fonctionne bien, mais seulement en théorie. Vous oublier de prendre en compte le facteur humain dans tout ce qu’il a d’irrationnel et de sentimental.

LC : Ce facteur humain est aujourd’hui étouffé par la circulation pléthorique et le temps perdu dans les transports en commun. Les voies rapides et le zonage permettent d’y remédier. Auriez-vous une meilleure solution pour libérer le citadin ?

RP : Les voies rapides et le zonage rendent justement le citadin esclave des transports, surtout individuels. Ils ne laissent pas de place à la marche du fait des grandes distances entre zones et suppriment le plaisir de la promenade dans la ville, sauf dans les parcs.

AR : Pour revenir à votre interpellation nous proposons l’histoire et l’inspiration du passé comme remède à la crise de la ville.

RP : La ville historique a toujours été le centre de la vie urbaine. Il faut donc la préserver et s’en inspirer pour faire revivre les banlieues en les transformants en centres locaux.

AR : C’est en aménageant des centres qui regroupent les activités et les logements en non pas en les confinant dans des zones distinctes que l’on pourra sauver la ville. Les places, les cours, les rues font le charme de la ville et sont des lieux de vie et de dynamisme.

RP : La limitation maximale de la circulation des moyens de transport individuels au profit des transports en commun et la diminution des besoins de déplacement lointains due au regroupement des services désengorgeront les villes et rendront sa dignité au piéton.

AR : Par ailleurs je pense que la rue doit demeurer l’élément constitutif de la cité car elle est un lieu de contact et d’échange irremplaçable.

LC : Messieurs, je pense qu’il nous faut maintenant mettre fin à cette conversation stérile et sans intérêt. Avant de vous quitter et même si je désapprouve tout à fait vos idées insensées et poétiques, je me dois de vous reconnaître le mérite d’avoir reçu le soutien de vos contemporains. Félicitations monsieur Piano pour votre aéroport sur l’eau à Osaka, j’en avais imaginé un semblable pour Buenos Aires… Enfin…

Le Corbusier s’éloigne sur son «nuage radieux»

RP : Il m’a l’air plutôt mélancolique.

AR : Il est simplement déçu que ses lubies n’aient pas vu le jour, c’est pour ça qu’il essaie maintenant de rendre les nuages rationnels.

RP : De toute façon tu avais raison, il n’y a aucun espoir de le raisonner.

AR : Je n’en suis plus si certain.

RP : Qu’est-ce que tu veux dire par-là ?

AR : Suis-moi et tu verras.

Ils arrivent devant un nuage aux formes douces et arrondies

AR : Le Corbusier l’a réalisé il y a quelques jours.

RP : A quoi sert-il ?

AR : Il dit que c’est une chapelle.

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